code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Dans les Provinces envahies, L’Humanité, « Notes d’Art », 14 janvier 1917, p. 2.

Voici une très importante et,>j’ajoute, une très utile manifestation. Parmi tant de problèmes complexes que pose la résurrection des cités détruites par la guerre, la Société des Architectes diplômés en a choisi un sur lequel elle a concentré son attention et ses efforts. Elle a pensé que les grandes questions d’organisation des villes ne manqueraient pas d’être étudiées, que les talents et les conseils ne feraient défaut ni pour les monuments publics, ni pour les constructions urbaines. Il lui est apparu, au contraire, que les paysans risqueraient fort de se voir délaissés. Elle a, voulu les soustraire aux hasards et à la spéculation, les préserver contre les sociétés financières, les entrepreneurs sans scrupules en défendant leurs intérêts et leur bien-être, elle a entendu sauvegarder la beauté et le caractère de nos campagnes. C’est ainsi qu’elle s’est assigné la tâche de préparer la reconstitution des habitations rurales.

Pour y réussir elle a résolu de créer un mouvement d’opinion parmi les architectes.
Depuis plusieurs mois, elle prépare un concours auquel les meilleurs artistes voudront
certainement, prendre part, concours dont surgiront, elle l’espère, des types dignes d’être réalisés ou d’être proposés en modèles. Mais elle s’est rendu compte qu’avant de demander aux architectes de dessiner des projets, il convenait de les initier aux données complexes et fort délicates, sur lesquelles ils doivent s’appuyer. Plus que la maison du citadin, la demeure villageoise est liée étroitement à un ensemble de conditions naturelles. Elle dépend du sol, du climat, des matériaux locaux, elle est imprégnée d’habitudes traditionnelles, elle doit répondre aux besoins et aux coutumes du présent. C’est pourquoi le paysan s’y plaît, c’est pourquoi elle se marie si bien au paysage, c’est par là qu’elle a son caractère et sa beauté.

La Société des architectes, dans un mémoire que j’ai eu l’occasion d’analyser ici même, a réuni, à l’usage des artistes, les éléments d’informations essentiels sur chacune des régions éprouvées, mais elle a jugé, avec raison, qu’il ne suffirait pas de renseignements abstraite et théoriques, que pour construire des maisons nouvelles, il fallait connaître les maisons anciennes, que l’architecte, sans respecter servilement le passé ne pouvait ni l’ignorer ni le rejeter de parti pris et, que pour faire œuvre vivante, il était nécessaire de greffer le nouvel ouvrage sur ceux qui l’avaient précédé. De là l’exposition actuelle, organisée avec le concours du sous-secrétariat des Beaux-Arts, ouverte à la galerie Goupil, 15, rue de la Ville-l’Evêque jusqu’à la fin de février. On y a réuni et méthodiquement classé un ensemble d’images où s’exprime la physionomie de la maison rurale du Nord et de l’Est. Quelques-unes de ces images, dessins, aquarelles, tableaux, sont des œuvres d’art pur. Leurs auteurs ne se proposaient pas de porter un témoignage, mais par leur fidélité, par la vigueur et la netteté de leur impression ils ont, à leur insu créé des documents. Parfois une page médiocre au point de vue esthétique prend, à titre de renseignement, un réel intérêt. II s’y joint une série de documents intentionnellement établis. Plusieurs sont de date ancienne c’est ainsi que nous voyons une suite précieuse de dessins sur la région d’Amiens, dus aux frères Duthoit. Ceux-ci à partir de 1820 et pendant un demi-siècle se donnèrent à tâche de noter tout ce qui pouvait frapper leur œil averti. Ils ont, ainsi, constitué une collection exemplaire par laquelle survivent, bien des traits pittoresques aujourd’hui effacés Il existe certainement, sinon des ensembles aussi considérables, au moins des pages nombreuses sur la plupart de nos provinces. Quelques-unes sont dans des musées, le plus grand nombre est enfoui parmi des papiers de famille.

L’exposition actuelle aura rendu un premier service si elle contribue à en souligner le prix et à les faire rechercher, si elle contribue aussi à montrer de quelle utilité seraient des musées régionaux méthodiquement organisés tels que ce musée d’Annecy auquel j’ai naguère rendu hommage. Parmi les documents récents, on aurait pu s’attendre à voir figurer on grand nombre des photographies. Celles-ci sont peu nombreuses et elles ne sont pas toutes typiques. Cela vient, sans doute, de ce que la photographie familière aux amateurs en quête de pittoresque n’a pas été encore suffisamment employée par les architectes. Il serait pourtant regrettable qu’on négligeât d’en utiliser les merveilleuses ressources et que l’on ne prît soin d’enregistrer, avant leur disparition imminente, tant de vestiges menacés des aspects caractéristiques du passé. L’apport essentiel, la note dominante de l’exposition, c’est une suite de dessins qui la donnent. Ces dessins ont été demandés à un architecte, M. Ventre, par le service des monuments historiques. Il devait, dans les régions ravagées, relever des types d’habitations paysannes, programme excellent qu’il a très intelligemment réalisé. Il a su au cours de pérégrinations qui l’ont conduit des Flandres à l’Alsace, dans des explorations qui n’ont été ni sans difficultés, ni sans périls, choisir non pas les constructions rares, pittoresques, exceptionnelles, mais celles qui réunissaient au degré le plus frappant les dispositions courantes dans chaque pays. A ce discernement, il a associé un réel bonheur d’exécution. Ses dessins ont une précision qui souligne les éléments constructifs, met l’ossature en évidence, fait reconnaître les matériaux et leur mode d’emploi. C’est un architecte qui parle à d’autres architectes. C’est en même temps un artiste sensible qui s’exprime d’une façon attachante et dont la sincérité est éloquente. Ainsi se présente cette exposition ordonnée avec grand soin par M.Vaillat. J’essayerai, prochainement, de résumer quelques-unes des leçons multiples qu’un examen attentif permet d’en dégager.