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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Les administrateurs, les ingénieurs, les architectes, tous ceux qui auront à participer à la reconstitution des villages détruits, puiseront à l’exposition de la rue de la Ville-l’Évêque les plus utiles enseignements. Parmi ces suggestions précieuses, je voudrais essayer d’en dégager quelques-unes en m’appuyant particulièrement sur l’admirable série de dessins exécutés par M. Ventre pour la Commission des Monuments historiques. Il ne s’agit pas, on l’entend bien, de découvertes, d’idées nouvelles ou inattendues, mais, au contraire, de faits essentiels, élémentaires si l’on veut, dont chacun devrait être pénétré, mais qui risquent d’être méconnus par des techniciens qui ne seraient pas des observateurs.
Remarquez tout d’abord que ces maisons types empruntées à toutes les régions envahies, dans les Flandres, en Champagne, aussi bien qu’en Alsace et en Lorraine, ont ce caractère commun d’être, chacune, destinées à une famille unique. Cet amour du chez soi, que nous reconnaissons volontiers chez les Anglais, est, en réalité, solidement ancré chez nous et il a fallu les nécessités et les conditions artificielles de la vie des villes pour l’entamer. Sans doute le paysan français n’a qu’à un très faible et très insuffisant degré ce souci du confortable, du bien-être qui caractérise le home, mais, s’il convient de développer chez lui les préoccupations d’hygiène, il importe avant tout de respecter son goût d’indépendance domestique.
Il se peut que des conditions nouvelles obligent à rapprocher des demeures dans des régions où elles étaient dispersées : en les réunissant, il faudra se garder de les confondre. Il faut, pour la moralité, pour l’activité, comme pour l’art, que chaque toit garde son individualité.
Ces maisons où s’abrite une seule famille sont toutes peu élevées. Elles comportent souvent uniquement un rez-de-chaussée ; il s’y ajoute parfois un seul étage. Leur silhouette ne s’élève qu’à cause des greniers ou de l’inclinaison des toits. Un critique a remarqué que, même dans des régions où la pierre de taille abonde, des maisons construites en matériaux robustes et qui supporteraient facilement le poids d’étages multiples ne s’élèvent pas davantage. Cela se comprend aisément. L’homme ne s’éloigne pas volontiers du sol. La demeure, s’il obéit aux instincts de sa nature, s’étend en espace. Il ne l’élève que lorsqu’il y est contraint. Quand le paysan a fait construire un étage au-dessus du rez-de-chaussée, il ne s’en sert qu’avec répugnance. La salle commune, la chambre où l’on se réunit et où l’on célèbre les naissances et les noces demeure au rez-de-chaussée. L’étage est destiné aux chambres à coucher qui ne jouent guère de rôle en dehors de la nuit ; on y accède par un escalier incommode, étroit et roide. En ce point, encore, on évitera de rompre avec des habitudes traditionnelles : on se contentera d’assainir les planchers, d’assurer une aération meilleure et l’on conservera à la maison basse, la plus saine si elle est rationnellement aménagée, sa suprématie.
En plusieurs régions, non partout malheureusement, on observera que la maison n’est pas à l’alignement ou, comme on dit, au droit de la route ou de la rue. Entre la route et la maison s’étend une bande de terrain, la parge, dit-on dans la Meuse, et l’orientation même de la maison n’est pas nécessairement parallèle à la rue. Je ne dis pas qu’on fasse toujours un excellent usage de cette bande de terrain. Souvent on ne s’en soucie guère : elle est livrée aux mauvaises herbes et aux ordures. Ailleurs, c’est pire, on y étale orgueilleusement ces tas de fumier qui font la honte de nos villages et contre lesquels il faudra vigoureusement réagir. Mais, parfois, on y aménage un petit jardin et il n’y a rien qui donne tant de charme à la maison ; et à tout ce qui l’entoure. Quant à l’orientation de la maison, il est à souhaiter que partout elle se rende indépendante de la direction de la voie. Le tracé d’une voie de circulation ne doit pas peser sur la détermination d’une façade. Celle-ci est dictée par des conditions naturelles multiples : la lutte contre le vent, l’humidité, le froid, la recherche de la lumière et de l’air. L’hygiène, la gaîté, l’esthétique veulent que la maison se livre largement au soleil, source de splendeur et de santé. Que les maisons ne bordent pas uniformément la route, nul artiste n’y trouvera à redire : rien de plus ennuyeux que ces alignements moroses qui n’ont d’autre justification que d’abusifs règlements.
Si vous examinez enfin la structure de la maison rurale, vous reconnaîtrez que nulle part on y a sacrifié à des lois de symétrie factice qui, dans les villes, semblent intangibles aux architectes. Le paysan ne bâtit pas sa maison pour qu’elle soit belle, mais pour qu’elle lui soit commode. Cette commodité, il l’entend à sa guise : il se resserre volontiers pour laisser plus de place à ses bêtes ou à ses provisions, se soucie avant tout de l’étable, de l’écurie et de sa grange. Nous n’avons pas, ici, à discuter sa conception. Il nous suffit de remarquer qu’il veut que sa maison, comme ses instruments, soit pratique. C’est de cette utilité, soulignée et non dissimulée, qu’elle tire sa beauté, beauté essentielle, supérieure à tout autre. De même, il ne demande pas qu’on dissimule les procédés de construction. Le bois, la pierre, la brique, selon les régions, sont franchement accusées. Les frontons, les colonnes, les piliers, les moulures sont, fort heureusement, un luxe ruineux, aussi restent-ils ignorés. Il y a là un sujet de méditation même pour les architectes qui bâtissent ailleurs qu’au village.
La maison rurale tire et ne peut tirer son caractère que de son adaptation à la vie. C’est de cette adaptation que résulte la diversité qui s’impose à elle selon les régions. J’essayerai, prochainement, d’examiner quelques-unes des indications et aussi quelques-uns des problèmes que pose, à ce sujet, le régionalisme.