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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Les organisateurs de l’exposition de l’architecture régionale dans les pays envahis ont fourni des documents nécessaires aux architectes qui, demain, seront chargés de relever les villages dévastés. J’ai essayé de dégager quelques-uns des enseignements qui surgissaient de l’examen et du rapprochement des types de maisons rurales du Nord et de l’Est. Je voudrais, aujourd’hui, essayer brièvement de préciser dans quelle mesure les exemples du passé pourront diriger le travail qui va s’accomplir.
Comme leurs prédécesseurs, les architectes, s’ils veulent faire œuvre valable, devront adapter leurs conceptions aux doubles nécessités qu’imposent la nature et l’homme. De ces nécessités, les unes sont permanentes, les autres sont soumises à une évolution qui peut être très rapide. Le climat, la nature du sol, le régime des eaux ne varient pas ou ne varient guère. Les mœurs, au contraire, évoluent, les conditions de l’activité économique se transforment et, avec ces changements, la maison se modifie.
Il ne faut pas croire que les types exposés rue de la Ville-l’Évêque aient été, de tout temps, immuables. À travers les siècles, l’habitat rustique a connu plus d’une transformation. Sans remonter très loin dans le passé, on en peut signaler, au cours du XIXe siècle, de remarquables preuves. Celles-ci se lisent à chaque page de l’enquête officielle sur les habitations rurales, qui a été publié en deux volumes, le premier en 1894 avec une préface d’A. de Foville, le second en 1899 avec une préface de M. Flach.
Voici un changement qui vient de la seule diffusion des idées sur l’hygiène. Bien que l’impôt des portes et fenêtres n’ait pas été modifié, les paysans n’ont cessé de multiplier, à chaque reconstruction, les baies qu’au début, par économie, ils avaient presque tenté de supprimer totalement. On n’imaginera pas qu’ils soient devenus plus prodigues, seulement ils sont arrivés à mieux comprendre le rôle de la lumière et de l’air. D’autres changements sont dus à la diffusion de matériaux nouveaux ou l’abaissement des prix de matériaux jadis trop coûteux. Les petits carreaux de verre, dont on ne niera pas, aux fenêtres, l’effet pittoresque, mais qui ne donnent qu’une clarté diminuée sont, partout, progressivement remplacés par de grandes vitres devenues d’un prix accessible. Beaucoup de villages construits jadis en pisé sont, à présent, bâtis de brique cuite.
Presque partout, dans l’enquête de 1894, on signale un type d’habitation ancienne qui disparaît peu à peu devant un type nouveau plus commode et plus confortable. Ainsi, sans qu’il y ait eu révolution, ni cataclysme, il y a progrès constant. Mais il y a eu aussi des révolutions véritables. Les métamorphoses de la vie économique ont eu, au XIXe siècle, leur contrecoup direct sur l’habitation rurale. En voici un remarquable exemple. La région d’Avesnes était pauvre au début du XIXe siècle ; brusquement, par la création des voies de communication, elle peut exporter son bétail. Alors on déboise le pays, l’élevage des bêtes à cornes se substitue à la culture. Le paysan s’enrichit et sa chaumière ne répond plus ni à son aisance, ni à son mode d’activité. Puis, vers le milieu du siècle, l’industrie s’introduit dans la région : le travail de la laine peignée change un village, Fourmies, en une ville et la métamorphose s’achève. Jadis, il y avait des chaumières en moellons, ouvertes sur une cour, la façade aveugle sur la route en souvenir de l’insécurité du passé ; à présent, il y a des maisons en brique et ardoise, de forme rectangulaire avec un étage très élevé et un grenier et couronnées par des girouettes de plomb.
S’il était nécessaire d’ajouter autre chose, on tirerait de l’exemple des catastrophes qui, à travers les âges, se sont, à maintes reprises, abattues sur les provinces françaises, cette conclusion que, jamais après une invasion, une guerre civile, une destruction accidentelle, ni les maisons, ni même les agglomérations, ne se sont reconstituées telles qu’elles avaient disparu. Des villages, des villes mêmes ont été abandonnés ou n’ont pas été reconstitués sur place ; des villes neuves ont été créées de toutes pièces. Les maisons ont répondu à des besoins nouveaux.
Il en sera certainement ainsi demain. Nous ne pouvons prévoir tous les bouleversements qui seront introduits dans la vie rurale, mais nous en apercevons quelques-uns. La diffusion des idées d’hygiène : la lutte contre les tas de fumier, gaspillage laid et dangereux de richesses inutilisées, le développement de la motoculture imposé par la rareté de la main-d’œuvre et la nécessité de lutter contre la concurrence étrangère suffiraient pour que la maison de demain ne puisse ressembler à celle d’hier. Les toits de chaume ne reparaîtront plus, condamnés au nom de la sécurité publique. Par ailleurs, il y aura une crise des matériaux locaux qu’on ne pourra produire en quantité suffisante, l’afflux des matériaux venus de loin grâce aux communications plus nombreuses et moins onéreuses que jadis, l’appoint du fer, celui du ciment armé y remédieront.
La maison du paysan de 1918 ne ressemblera pas à celle dont il aura pleuré la ruine en 1914 ou 1915. Elle sera plus confortable, adaptée à sa vie nouvelle. Sera-t-elle plus belle ? Souhaitons-le. Dans ces conditions, à quoi peut servir aux architectes la méditation des demeures anciennes ? Elle ne sera d’aucune utilité, elle sera même dangereuse, s’ils entendent en refaire des copies littérales. Elle est, au contraire, essentielle, s’ils sont capables de s’en inspirer en esprit. Qu’ils appliquent aux programmes de notre temps les qualités de logique, de finesse, de simplicité surtout qui triomphèrent dans les fermes et les maisons anciennes dont nous admirons le caractère, mais dont la reproduction servile ne saurait plus nous satisfaire.