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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art
Savez-vous, me disait un peintre qui avait visité avec moi l’exposition de Steinlen (64 bis, rue de la Boétie), la cause de la supériorité que manifeste ici cet admirable artiste ? C’est que d’autres, qui se sont mis à raconter la guerre, n’étaient, en aucune façon, préparés à le faire. C’étaient d’aimables gens qui peignaient de jolies choses, des humoristes spirituels, des artistes adonnés à des recherches techniques, il en était même qui avaient certains instincts de grandeur ; ils se sont mis à la besogne du jour, et je ne dis pas qu’ils n’y aient pas déployé des qualités nouvelles et, malgré tout, ils ne peuvent se dépouiller complètement de leurs anciennes habitudes de main et de leur mentalité d’hier.
Lui, il a toujours eu l’instinct humain. Il a été droit au peuple ; il a chanté les humbles, leur travail, leurs pauvres joies, leurs misères, leur grandeur et aussi leurs tares, car il voit clair et est incapable de dissimuler ou de farder. La guerre venue, il a retrouvé ses héros dans une épreuve plus haute où ils ont exalté leurs vertus obscures et où il a déployé lui-même toutes les ressources de son art. Il est le même sur un champ élargi. Son dessin souple, synthétique, évocateur, se modèle, sans fausse note, sur les poilus et sur les foules dont il sait faire surgir l’âme collective, et son cœur frémissant de pitié, son âme exaltée pour ce qui est grand et libre, battent à l’unisson des masses enthousiastes.
Remarquez qu’il ne choisit pas et qu’il accepte la réalité tout entière. De cette guerre atroce, il n’essaie de masquer aucune des horreurs. Avec quelle intensité, avec quelle émotion, il décrit le calvaire de ces blessés qui se traînent, la nuit, vers le secours qu’ils n’atteindront peut-être pas ou qui, blottis dans un trou, agonisent sous la mort qui plane ; l’exode des peuples, les veuves, les enfants sont racontés, avec attendrissement, par son crayon. Mais, en même temps, il célèbre la constance intrépide des soldats que soutient la loi obscure du devoir et traduit l’élan enthousiaste par lequel un pays tout entier s’élève aux plus sublimes sacrifices.
Voilà pourquoi il est grand : son art jaillit spontané, il ne gagne rien à transposer sa pensée dans un tableau peint ; ses dessins, repris et composés à loisir, ne sont pas les meilleurs, mais la notation directe, la page fébrilement tracée sous l’emprise immédiate de l’émotion le classent parmi les maîtres.
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Chez Georges Petit (8, rue de Sèze) expose un groupe d’excellents artistes qu’unissent, depuis longtemps, un égal respect de la technique et un semblable amour de la liberté, tous différents, d’ailleurs, par leurs tempéraments, comme par leurs procédés. Aman-Jean, Cottet, Dauchez, Le Sidaner, Lobre, Henri Martin, René Ménard, Prinet, Raffaëlli, Simon, combien de fois avons-nous célébré leurs noms et applaudi à leurs succès. Sans doute aujourd’hui suis-je mal disposé, car j’éprouve, dans la grande salle où ils sont réunis, une impression, comment dirais-je, d’air enfermé, de choses lointaines et périmées. Peut-être est-ce parce que les pages exposées ne sont pas, pour la plupart, récentes, que l’on ne voit pas que, depuis les trois années extraordinaires que nous traversons, le mentalité de ces artistes se soit modifiée, qu’on les sent fixés dans les manières où ils ont triomphé naguère et que nous voudrions un imprévu qu’ils ne peuvent plus nous donner.
Brusquement, au fond de la salle, l’attention se réveille et la vie renaît avec le beau, le singulier, l’étonnant portrait qu’Albert Besnard a peint du cardinal Mercier. Le prélat, debout, s’avance vers le spectateur avec une attitude de réserve, de dignité et de fermeté où s’exprime le courage hautain de celui qui n’a usé de son autorité que pour la défense d’un peuple martyr. Près de lui, un grand Christ en croix, agonisant, palpitant, traduit en un symbole frappant les épreuves de la Belgique. La composition est neuve, saisissante, le parti pris hardi. La page est baignée de cette lumière blanche, froide, que Besnard affectionne de plus en plus, et la pourpre cardinalice pâlit près du corps du Christ modelé en un camaïeu où se retrouvent des souvenirs de Rubens.
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La Belgique n’aura pas été seulement héroïque, elle nous aura donné les plus beaux exemples de ténacité et d’énergie. Les Belges dispersés travaillent partout, à préparer l’œuvre qui s’accomplira au lendemain de la libération de leur patrie. À La Haye, un architecte belge, Louis Van der Swaelmen, publiait naguère un remarquable livre Préliminaires d’art civique, sur les règles générales de l’urbanisme. À Paris, des Belges ont collaboré à l’exposition de la Cité reconstituée et ont pris la part la plus active à la constitution de cette École d’Art public qui, demain, sera une réalité. À Londres, un comité a été constitué, des conférences ont été données. Un recueil de ces conférences vient d’être publié et j’y remarque surtout un excellent exposé de M. R. Verwilghen, sur la législation urbaine, où l’auteur assigne à l’architecte chargé d’organiser une ville la mission sociale la plus élevée.