Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Albrecht Dürer (1471-1528)

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A. Dürer ne nous appartient pas ici tout entier, mais, si, peintre et dessinateur, il a produit des chefs-d’œuvre, il a trouvé, dans la gravure, l’application la plus complète et la plus constante de son génie. Son esprit méditatif et systématique, son amour aigu de vérité, de beauté et de vie, son âme et son cœur se sont épanchés plus à leur aise que lorsqu’il maniait le pinceau ou la pointe d’argent. Ce sont ses estampes qui, de son vivant même, ont d’abord répandu son nom à travers l’Allemagne et hors de l’Allemagne même, aux Flandres ou en Italie […]. Aussi, tandis qu’il a, pendant de longues périodes, délaissé presque absolument la peinture, il n’a, depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort, jamais cessé de graver, et l’histoire de sa pensée se reflète dans ses gravures, sans lacune. […] Maître, dès ses premières œuvres, à mesure que les années s’écoulent, il marque avec plus de décisive vigueur le trait qui enveloppe la forme et caresse, avec plus de douceur, de délicatesse, de nuances, le modelé des draperies et des chairs. D’ailleurs, aucune rhétorique, point de procédé de pratique ; aucun désir de faire valoir l’instrument : la seule volonté de bien exprimer et de tout dire. Cette acuité caressante, cette affirmation, à la fois si absolue et si discrète, ce libre jeu d’un œil pénétrant et mesuré, servi par la main la plus sûre qui fût jamais, voilà ce qui donne aux burins d’Albert Dürer une valeur unique.

Léon Rosenthal, La Gravure, Paris, H. Laurens, coll. « Manuels d’histoire de l’art », 1909, p. 62-63.