Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Pierre Paquet (1875-1959)

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À l’angle du boulevard de Clichy et de la rue de Douai, s’élève un édifice dont l’aspect original et attrayant s’impose au passant : c’est un lycée de jeunes filles, le lycée Jules Ferry. […] Le lycée Jules Ferry, en effet, est une œuvre rationnelle et par là même exemplaire. Son architecte, M. Pierre Paquet, est animé de l’esprit qui dirigeait jadis Train lorsqu’il érigea le Collège Chaptal. […] il a, avec un esprit libre, appliqué franchement toutes les ressources que lui fournissait son temps, à la réalisation du programme qui lui était proposé. Il n’a pas fait exclusivement appel au ciment armé, puisque tout le rez-de-chaussée de l’édifice est de pierre et de brique, mais il a usé largement  de toutes les facultés que le ciment armé lui donnait. Il ne s’est pas contenté de construire avec logique : il a, dans la conception de l’ensemble, comme dans le soin apporté au détail, fait preuve d’un sentiment et d’un goût délicieux. Aussi, le lycée Jules Ferry est-il tout à la fois un établissement scolaire parfaitement adapté à sa formation, une œuvre de construction remarquable ou, pour tout dire, une véritable œuvre d’art. […] Arrêtons-nous un instant devant l’entrée. Pourquoi cette façade nous frappe-t-elle ? C’est, d’abord parce qu’étroite, pratiquée dans un pan coupé, elle n’en donne pas moins l’impression d’ampleur. Vous y chercheriez, en vous, colonnes ou pilastres de styles traditionnels. L’acanthe et la volute, l’ove et les rais de cœur, ainsi que tous les autres oripeaux conventionnels ne sont pas, cette fois-ci, sortis du magasin aux accessoires. Vous ne découvrez pas davantage de ces sculptures décoratives qui se plaquent, au hasard, sur tant de palais trop vantés. La façade vaut, par elle-même, par ses dispositions, pour ses proportions. Au rez-de-chaussée, une large baie accueillante, encadrée à sa partie supérieure d’une ornementation très étudiée et très sobre. Au-dessus, trois étages où de grandes ouvertures ont été pratiquées ; un balcon de ferronnerie au troisième et c’est tout. C’est assez pour constituer un ensemble heureux, que la couleur vient animer, car la pierre blanche et les briques roses qui lui succèdent forment une harmonie pénétrante sans brutalité. […] Pénétrons à l’intérieur. Je vous laisse le soin d’admirer les dispositions élégantes ou l’ornementation ingénieuse du vestibule, du hall, du parloir. J’appellerai simplement, en passant, votre attention sur le parti qui a été tiré de la ferronnerie ou de la mosaïque et vous ferai remarquer qu’il n’eût guère été possible de conserver au hall son ampleur sans le diviser par des piliers intermédiaires, si le plafond n’en était en ciment armé.

Léon Rosenthal, « Architecture et raison », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 29 août 1916, p. 3.