Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Claus Sluter (ca. 1355-1406)

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Que serait-il arrivé si Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, avait redouté d’appeler des étrangers pour les grands travaux d’art qu’il exécutait à Dijon et s’il avait refusé de recevoir, dans ses chantiers, le Hollandais Claus Sluter ? La France aurait été privée de cet incomparable Calvaire des Prophètes ou Puits de Moïse qui, dès son apparition, au début du XVe siècle, jouit d’une célébrité européenne, détermina la création d’une école bourguignonne de sculpture et demeure encore, pour nous, un sujet d’orgueil et un exemple. Ne vous en consolez pas par la pensée que Claus Sluter n’en aurait pas moins eu du génie et qu’il aurait produit, ailleurs, l’œuvre qu’il mena à bien à Dijon. Il n’est pas assuré que Claus Sluter aurait trouvé d’autres protectures aussi éclairés. Il est probable que, hors de France, loin de l’atmosphère d’art et de culture dont il fut imprégné, ses œuvres auraient été différentes. Pas moins belles, peut-être, mais autres. La belle pierre que les carrières des environs de Dijon lui fournirent à profusion lui aurait manqué. Il est légitime de croire que la France agit sur lui, avant qu’en retour il n’agit, à son tour, sur elle. À coup sûr, les Bourguignons n’ont jamais eu l’impression que le Puits de Moïse fût étranger à leur tempérament, à leurs tendances d’art ; ils l’ont, à jamais, adopté.


Léon Rosenthal, « L’art français et les influences étrangères », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 7 février 1916, p. 3.