Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923)

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Steinlen a été le narrateur du peuple, souffrant, misérable, accablé ou révolté : “Il connaît l’étroite soupente, le réduit sans air, sans lumière où l’on s’entasse et où le corps se refait mal des fatigues du jour ; cependant, le vrai théâtre de son œuvre, c’est la campagne stérile qui étend sa lèpre de gravats autour de Paris”. Nul mieux que lui n’est capable d’exprimer ces courants irrésistibles et mystérieux qui font “courir sur une assemblée le frisson d’une angoisse commune” et créent parmi la foule le souffle puissant de la vie unanime. Grand par l’esprit et par le cœur, Steinlen possède aussi, selon la remarque d’Anatole France, “une sensibilité subtile, vive, attentive, une infaillible mémoire de l’œil, des moyens rapides d’expression”. Il n’a pas seulement des velléités généreuses, il a la supériorité de vision et de traduction qui arment le grand artiste véritable. C’est parce que son talent aigu le classe parmi les meilleurs et parce qu’il a consacré son effort à l’amour des hommes que nous sommes heureux de lui rendre hommage ici.

Léon Rosenthal, « Steinlen et son œuvre », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 26 août 1913, p. 4.