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Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Réflexions sur les musées

David, membre de la Convention, du Club des Jacobins, du Comité de Sûreté générale, fut, sous la Révolution, le champion de la cause des arts. […] Parlant du Louvre ouvert au public en 1793 : “Ne vous y trompez pas, citoyens, s’écriait-il, le musée n’est point un vain rassemblement d’objets de luxe ou de frivolité qui ne doivent servir qu’à satisfaire la curiosité. Il faut qu’il devienne une école imposante. Les instituteurs y conduiront leurs jeunes élèves, le père y mènera le fils. Le jeune homme, à la vue des productions du génie, sentira naître en lui le genre d’art ou de science auquel l’appelle la nature. Écrivons, disait-il encore, à la manière des anciens notre histoire dans des monuments ; qu’ils soient grands et immortels comme la République que nous avons fondée ; et que le génie des arts, conservateur des ouvrages sublimes que nous possédons, soit en même temps, un génie créateur et enfante de nouveaux chefs-d’œuvre”. 

Léon Rosenthal, « David et son École », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 8 avril 1913, p. 4.

Il est, en Europe, deux collections : le musée Poldi Pezzoli, à Milan, et la galerie Wallace, à Londres, que l’on ne visite jamais avec indifférence et qui laissent, à ceux qui les ont vus, un long souvenir de charme inexprimable. Sans doute, on y admire des merveilles, pourtant il est des musées plus riches dont la curiosité a moins d’attrait. Ce qui place ceux-ci à part et leur crée une séduction exceptionnelle, c’est qu’ils vous font oublier qu’on est dans un musée public, surveillé par des gardiens, fréquenté par des touristes, désert et mort quand il n’est pas envahi par des passants. Ils vous donnent l’illusion d’être reçus dans une demeure vivante. Le maître du logis n’est pas là, mais son goût est présent : tout ce qui s’offre à la vue participe à une pensée commune. Tel meuble, tel bibelot a été choisi pour parfaire un ensemble. Une âme harmonieuse préside à la création de ces foyers d’art. Cette sensation délicieuse, […] nous la goûterons désormais à Paris. Le Musée Jacquemart-André sera demain, ainsi que le musée Poldi Pezzoli et la Collection Wallace, avec lesquels il peut facilement rivaliser, un de ces temples élus où les fervents d’art du monde entier nourriront leur sensibilité et laisseront un peu de leur cœur.

Léon Rosenthal, « Le Musée Jacquemart-André », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 9 décembre 1913, p. 4.

L’entrée de la Collection Camondo au Louvre a plus qu’un intérêt de curiosité. Nous formons l’espoir le plus vif et, ajoutons-le, le plus certain qu’elle sera un instrument de libération pour la jeunesse qui aborde l’étude de l’art. À toute époque, le Louvre a contribué à émanciper les artistes. Au début du XIXe siècle, il a préparé la révolte contre l’école de David et c’est dans ses salles que Géricault et Delacroix ont pris conscience de leur génie. Aux approches de 1848, c’est dans le Musée espagnol, qui y était alors installé, que Courbet a développé son instinct réaliste et que Manet a puisé ses formules caressantes et brutales.
Demain, il sera difficile aux peintres officiels de l’École des Beaux-Arts et de l’Institut de prononcer des anathèmes contre des artistes que le Louvre aura recueillis et dont le génie se livrera sans réticence à la jeunesse.

Léon Rosenthal, « La collection Camondo et les enseignements du Louvre », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 16 juin 1914, p. 4.

Quand on parle de bibliothèque ou de musée, on rêve immédiatement de palais somptueux, donc très coûteux, donc d’une exécution ruineuse. Je suis persuadé, au contraire, que rien ne serait plus facile à un architecte intelligent que de concevoir, pour recevoir collections artistiques ou livres, des édifices très simples, très modestes, parfaitement convenables et d’une réelle valeur esthétique.

Léon Rosenthal, « La résurrection des villes. Une loi nouvelle », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 5 juin 1915, p. 3.

…il faut avouer qu’en dehors de ces centres exceptionnels, la cause des musées est difficile à défendre, à la fois dans les villes qui en possèdent et dans celles qui en sont, pour le présent, dépourvues. Dans la plupart des cas, le musée, qu’il soit situé dans les combles de l’hôtel de ville ou qu’on lui ait créé un asile spécial, évoque l’image de salles désertes et poussiéreuses dans lesquelles des objets hétéroclites ont été rassemblés au hasard. Le musée doit être riche, à en juger par l’encombrement qui règne sur les murailles et dans les vitrines : pourtant, parmi tant de merveilles entassées, le visiteur désorienté aurait, peut-être, bien de la peine à trouver un objet digne de son attention. Voici des tableaux anciens superposés, de la cimaise au plafond, attribués à toutes les écoles, parfois décorés de grands noms, mal conservés ou repeints ; un érudit aurait peine à tirer quelque profit de leur examen et ils ne peuvent exercer aucune influence sur le public, ni par leur art, qui est médiocre, ni par leurs sujets, qui sont ordinairement d’indéchiffrables énigmes.

Léon Rosenthal, « La résurrection des villes. Musées régionaux et musées locaux (I) », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 28 août 1915, p. 3.

Nous nous mettrons, tout d’abord, d’accord sur ce principe simple qu’un musée n’est pas destiné à la contemplation passive. Les joies spirituelles, la délectation qu’ils donnent peuvent et doivent avoir une influence salutaire. Il doit donc être un instrument d’éducation. D’éducation artistique, certes, mais, dans ces chroniques où je me suis efforcé de montrer l’interpénétration perpétuelle de la vie et de l’art, je me mettrais en contradiction avec moi-même si je considérais cette éducation artistique comme indépendante et isolée. Pour embrasser le domaine de l’art, le musée devra donc s’intéresser à la vie et comme il n’est rien dans la vie auquel l’art reste étranger, le musée, en définitive, embrassera la vie tout entière. Un musée sera, par conséquent, un instrument d’éducation intégrale.

Léon Rosenthal, « La résurrection des villes. Musées régionaux et musées locaux (I) », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 28 août 1915, p. 3.

…cette éducation que l’on poursuit par l’action du musée ne doit pas rester purement esthétique. Cela, comme je l’ai fait remarquer, parce qu’il est artificiel et faux d’isoler l’art et de le séparer de la vie à laquelle il est indissolublement mêlé, parce qu’il est faux de penser que l’art réside dans des œuvres exceptionnelles, tableaux et statues, et d’envisager ces tableaux et ces statues comme des travaux de pure virtuosité. Mais aussi parce qu’il serait absurde de chercher à développer une faculté en laissant en friche toutes les autres.
Les musées, tels que nous les désirons, doivent s’ouvrir à tous et rendre des services au plus grand nombre de citoyens possible. Ils ne sont pas faits spécialement pour l’élite intellectuelle, et, d’ailleurs, cette élite n’aura, en aucun cas, rien à perdre à voir les musées rationnellement organisés. Nous nous adressons donc à des cultivateurs, à des ouvriers, à des employés, auxquels les conditions de la société actuelle n’ont permis d’acquérir qu’une instruction rudimentaire ; joignons-leur les bourgeois qui, dans la plupart des cas, ne sont pas mieux armés.

Léon Rosenthal, « La résurrection des villes. Musées régionaux et musées locaux (II) », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 4 septembre 1915, p. 3.

L’idéal serait de présenter au visiteur des objets, à la fois groupés et espacés : chaque groupe occupant une salle spéciale, de façon à éviter le disparate, de permettre l’étude réfléchie et le recueillement. Pour cela, au lieu d’offrir aux musées des installations de fortune, il faudrait leur construire des abris. On s’y refuse d’ordinaire, je l’ai déjà dit, parce que l’on redoute des dépenses excessives. En réalité, il ne faut pour un musée que de l’espace et quelques murailles nues. Offrez à un conservateur intelligent des surfaces parfaitement simples, largement éclairées, soit par des baies latérales, soit par en haut. Il tirera de ce squelette quelque chose de vivant. Tout le reste est superfétation coûteuse sinon déplacée et nuisible. Le Louvre, le Grand ou le Petit Palais ne valent pas, pour une exposition artistique, l’humble tente des Indépendant. Bâtissez un bâtiment modeste, entourez-le d’un jardin et vous aurez assuré un asile digne de lui à un établissement qui n’est ni inutile ni d’un vain luxe, mais en qui on est fondé de voir un rouage essentiel de la vie.

Léon Rosenthal, « La résurrection des villes. Musées régionaux et musées locaux (III) », L’Humanité, « L’Actualité artistique », 11 septembre 1915, p. 3.

Le musée nous découvre notre vie familière. En même temps, il nous ouvre de toutes parts des horizons : c’est l’invitation au voyage, la révélation de la vaste terre, c’est l’évocation du passé et la sensation des civilisations disparues et c’est, enfin, l’envolée religieuse ou mystique, le rêve et la chimère. Tout le vrai, tout l’idéal, tout le possible s’offrent à des êtres qui, tout à l’heure, étaient emprisonnés en eux-mêmes. […] Les joies que dispensent les musées s’accroissent à mesure qu’on les fréquente davantage. Elle comptent, pour quelques amateurs, parmi les raisons essentielles de l’existence.

Léon Rosenthal, « De la réforme des musées d’art », in Georges Wildenstein, dir. , « Musées, Enquête internationale sur la réforme des galeries publiques », Cahiers de la République des lettres, des sciences et des arts, n° XIII, 1930, p. 61.